Pour expliquer la genèse du Règlement XVII, on remonte habituellement au fait que l’école, autrefois un instrument local de sociabilité, évoluait à cette époque pour devenir un mécanisme qui inculquerait un nationalisme aux enfants des masses. On rappelle aussi l’augmentation du contingent canadien-français en Ontario, qui est passé de 14 000 à 248 000 âmes entre 1842 et 1921 et qui donnait l’impression aux Ontariens que cette population envahissait les régions frontalières. On mentionne enfin que les catholiques d’origine irlandaise craignaient que la langue française ne vienne menacer le financement public de leurs écoles séparées. Ces appréhensions ont mené l’Ordre d’Orange et plusieurs catholiques d’origine irlandaise à faire pression pour que Toronto exige l’enseignement de l’anglais dans l’ensemble de ses écoles, dont dans les écoles bilingues des Canadiens français et des contingents allemands du Sud-Ouest ontarien. En 1890, la province a exigé que toute matière soit enseignée en anglais. Cependant, son vœu d’enrayer le français ne serait pas exaucé, car ce Règlement II prévoyait une échappatoire pour les enfants qui comprenaient mal l’anglais, ce qui en a plus ou moins suspendu la mise en vigueur dans les écoles anglaises-françaises.
Plusieurs historiens, dont Gaétan Gervais et Robert Choquette, et littéraires, dont René Dionne, ont misé sur la résistance des Canadiens français à l’interdiction d’enseigner en français dans les écoles ontariennes entre 1912 et 1927. Ce faisant, ils ont toutefois négligé les efforts de cette population à persuader le gouvernement de renoncer à sa politique assimilatrice. Cet article, inspiré des études bien connues, des publications récentes des historiens Michel Bock et Jack Cécillon et de nos recherches dans le fonds de l’Association canadienne-française d’éducation d’Ontario (ACFÉO) vise à souligner, au-delà des résistances et des mobilisations, l’importance de la persuasion dans le dénouement du Règlement XVII. La résistance de 1912 à 1916 ne lui remportant pas les résultats escomptés, l’ACFÉO a changé son fusil d’épaule après la Première Guerre mondiale, afin de passer à une action plus discrète. Ce sont les efforts de l’organisme porte-parole pour altérer les mentalités du clergé d’origine irlandaise, du Ministère d’Éducation et des élus à Queen’s Park qui, jugeons-nous, ont marqué la résistance dans la durée et qui ont été tout aussi, si pas plus importants, à l’abrogation du Règlement que les spectacles de désobéissance civile, qui sont aujourd’hui ancrés dans la mémoire des Franco-Ontariens. Pendant cette période, l’élite nationaliste a aussi travaillé à persuader le clergé canado-irlandais et la hiérarchie romaine du bien-fondé de la langue française dans les écoles et les paroisses catholiques. Ces mêmes militants ont aussi tâché de persuader Toronto qu’il serait possible que les Franco-Ontariens apprennent bien l’anglais tout en recevant un enseignement dans leur langue maternelle. Enfin, ils ont empêché les Canadiens français eux-mêmes d’abdiquer en faveur de la conception impérialiste et anglo-saxonne du Canada, car le « pacte entre deux peuples », auquel adhérait l’ACFÉO, entendait que chacune des nations fondatrices puisse s’attendre à faire instruire ses enfants dans sa langue.